POEMES
1
Sovarov était émigré. Vivant dans une masure
aux abords des salines,
il voulait m’apprendre le piano.
J’ai dit « Pas de piano ! »
« Tu as été pianiste ! Tu ne t’en souviens pas ? »
« Non Orlov, désolé ! »
Je me rappelle par contre une vieille ferme
aux abords ronceux d’une chapelle.
Année ? 1316.
J’avais sauvé un loup d’un piège à mâchoire
rustique,
il ne me quittait plus.
Pindare et Keats sont dans nos murs.
Tranströmer un dimanche. La lumière
rampe à poil, les mots se méfient de nous.
L’opacité des souvenirs garde la tête haute.
Combien d’époques infranchissables à notre
conscience
rayonnent en nous !
L’heure des Atlantes, l’œil de Ménès,
les ruelles sombres dépareillées des îles enfouies,
tout se côtoie et nous évente.
Nos lignes logiques sont barricades,
nos intervalles, de simples lacunes inexpressives.
La charrue nous remise.
Trilobé matinal : le clocher.
Aucun nuage. La petite table des kermesses
agenouillée par terre,
elle est ronces, orties pavoisantes.
L’air se fendille. Du bureau où machinalement
ces vestiges nous contemplent,
le matou nous fixe avec le sentiment que
nous étirons un coin de linceul
pour détailler l’imaginaire tranquillement
disparate qui fut jadis.
A nous-mêmes, aux blessures fidèles,
nous sommes fermés – inaccessibles.
Sans clairière pour apercevoir,
sans inexprimable pour se saisir des noms
et des choses qui nous lient.
La lumière aujourd’hui est une déconstruction.
Le sacrifice est le viol terrestre
de l’homme.
Seul en bonheur, en souvenir.
Le houx en fleurs barre l’aubépine,
les liatris étouffent l’ortie blanche.
Où tu seras, je suis.
Heureuse dans les luzernes,
l’épaisseur fragmentaire des pluies
printanières
agenouille la lumière du soir.
(Parcours du vent)