Les mathématiciens et physiciens du vingtième siècle, particulièrement ceux qui ont été à l’origine de la mécanique quantique, se sont presque tous passionnés pour la pensée védique.
« Une transfusion de sang d’Orient en Occident pourrait sauver la science occidentale de l’anémie spirituelle » disait ainsi Schrödinger.
« Je vais dans les Upanishad pour poser des questions » déclarait à son tour Niels Bohr.
Heisenberg : « A celui qui lit les Védas, la physique quantique paraîtra naturelle. »
Einstein, Oppenheimer, Tesla étaient de grands lecteurs des Védas. Pauli, Planck, Mach, Dirac, Costa de Beauregard également.
Une des questions que nous souhaitons poser est donc celle-ci : que peut-il y avoir dans les Védas qui ont intéressé ces physiciens et représentants de la science moderne ? Autrement dit : existe-il des centres d’intérêts communs, ou des convergences, entre une philosophie essentiellement tournée vers la contemplation, c’est-à-dire vers une vision autant métaphysique que mystique comme l’est celle des Védas, et une science moderne tournée vers l’expérimentation, une science qui d’une manière générale semble nous révéler quelque chose de nouveau, avec ses champs de probabilité ou d’incertitude des descriptions physiques ?
Parlant de la science moderne, relativité et mécanique quantique comprises : Heidegger a écrit : « La science, c’est la théorie du réel. » Cette affirmation nous servira de point de départ.
Une remarque avant de commencer.
Les Védas qui sont les plus vieux textes hindous ont donné naissance à de multiples écrits et interprétations. Sans compter qu’avec ce qui touche à la pensée extrême-orientale, on se trouve la plupart du temps au contact de sectes multiples, ou de croyances religieuses, ou de philosophies comme le Jaïnisme, le taoïsme, le bouddhisme, etc., avec leurs différentes et nombreuses chapelles. Je ne parle même pas des noms qui sont donnés aux différents éléments ou concepts extrêmes-orientaux, et qui portent souvent des noms de dieux. Il y en a des milliers en Inde. Non. Je parle des principes qui lorsqu’ils ne dérivent pas ou n’impliquent une métaphysique authentique (méta envisagé non comme quelque chose après la physique mais avec la physique, plutôt donc comme un modèle de physique) peuvent donner lieu à des dérives impressionnantes. Alors, ce qui est lumière dans une conception devient obscurité dans une autre ou même contradiction et ainsi de suite.
Dans le cadre de cette métaphysique extrême-orientale extrêmement complexe, essayons quant à nous de coller le plus possible aux textes fondamentaux du Vedanta et des Upanishads en nous servant particulièrement des concepts développés par les grands universitaires sanskritistes du vingtième siècle, ou par le Pandit Jagadish Chandra Chatterji, ou par Henri le Saux, Shri Aurobindo, Shankara, Louis Renou, etc, sans hésiter par ailleurs à emprunter à leur œuvre de larges extraits.
Un point déjà : leurs difficultés. Connaissance ou vision de l’ordre cosmique dont il est dit qu’elle a été révélée à des sages, concepts affirmés souvent comme antérieurs à la création du monde et de l’homme, ils affirment presque toujours, du moins à l’origine, tant par leur richesse philosophique que par l’ampleur mélodique de leurs points de vue, notre impossibilité à réellement les comprendre.
Lorsqu’on veut d’ailleurs commencer à en développer quelques-uns, il faut toujours préciser que ces points ne sont que de lointains aperçus de la vision totale de l’univers qu’ils prétendent incarner. Il faut bien insister sur le fait que la philosophie ou métaphysique qu’ils sous-tendent ne s’inscrit jamais complètement dans le cadre strict d’une causalité déterministe ou d’une probabilité indéterministe. D’un infini ou d’un fini. Comme dans la mécanique quantique, et c’est déjà une première passerelle, tout dépend à chaque fois de l’observateur. Mais d’un observateur entendu non comme un témoin objectif à un certain endroit de l’espace extérieur plus ou moins à ce qu’il observe. Non. Mais comme un témoin inscrit dans le champ de son observation et donc en faisant partie, tributaire qu’il est, comme ce qu’il observe, des mêmes forces et des mêmes mouvements. Un objet extérieur à lui dans un champ extérieur, mais également intérieur à lui dans un champ qui est sa propre constitution physique et mentale et qu’il n’y a pas lieu de distinguer.
Quelle image de l’univers nous est donnée par les Védas ?
Ni sphère, ni univers plat, ni selle de cheval comme tentent de le définir certains modèles cosmologiques modernes… il faudrait la définir plutôt comme un point excessivement compact, l’atma, un point rempli de substances, « un conglomérat plus exactement de particules que leurs vibrations projettent de tous côtés dans un mouvement circulaire. » C’est à un mouvement de toupie qu’il faut penser et même à un mouvement très intense, très déterminé, parce que ces forces qui agitent le centre et qui le forcent à expulser la densité extrême de matière qu’il contient, à l’éloigner vers des bords de plus en plus lointains, dans la philosophie védique, c’est une intelligence qui l’active. C’est une force unique intelligente, force qui enclenche le mouvement et fait donc que tous les éléments s’éloignent en spirales de ce centre, de plus en plus rapidement selon qu’ils se trouvent sur des cercles proches ou éloignés de ce centre, ou plutôt sur des spirales tourbillonnaires. On appelle souvent cette force “l’absolu”. Un abstrait opérant. Ou opératif. Le mouvement quant à lui est qualifié de “relatif. ”
Pour les védas donc, on voit que l’univers a une cause, ce qu’on pourrait appeler son moteur, et que ce moteur est une force, parce que dans l’univers tout est force et vibration. Il est dit que le mouvement généré par cette force est l’effet de cette force. C’est son résultat en tant qu’expansion. Ça, c’est le premier principe.
La force que d’autres peuples appellent Dieu, ou le Principe divin, ou encore l’Idée primordiale, les Hindous l’appellent Brahma. C’est ce qui produit toutes choses dans le monde, c’est ce qui développe tous les phénomènes, tous les objets, absolument sans exception. Cette force agit en vertu de plusieurs principes.
Elle le fait d’abord en vertu de la loi universelle, dite loi d’alternance.
Dans les Védas, c’est net. Rien dans l’univers ne progresse en ligne droite de façon continue. La densité du point primordial qui symboliquement pourrait être appelée le Centre absolu, se fluidifie, se disperse, mais jusqu’à un certain point, avant de reculer. Un nouveau mouvement a alors lieu et et porte l’élan plus loin que le précédent, avant de reculer à son tour. Nous évoquions pour la définir un mouvement de toupie. Il faudrait davantage parler, en fait, d’une espèce de courbe hélicoïdale autour d’un axe central dont le centre serait considéré comme le point de départ de multiples anneaux. D’anneaux, de circonférences, ou d’ovales non superposés, mais intriqués, donc un peu comme des cercles tournant de plus en plus vite selon leur éloignement du centre. Attention. Ce que nous devons comprendre de cette expansion des anneaux, c’est que non seulement elle n’est pas continue, mais que chaque manifestation qui met en route un espace précis, le met au monde en tant que développement ou extension d’un ancien espace en même temps que création d’un nouvel espace.
Cette alternance de mouvement et de repos, de jour et de nuit comme disent les hindous, il faut la comprendre comme quelque chose qui se situe à tous les niveaux de la manifestation et de la non-manifestation. Car en vertu de cette loi universelle d’alternance, si on a la nuit cosmique et le jour cosmique, si on a l’étendue des éléments puis leur mise en œuvre, on a également une période de manifestation visible et une période de non-manifestation de cette force primordiale, donc quelque chose en quelque sorte, pour ce qui est de la seconde, qu’il nous est impossible de voir, même si elle est partie intégrante de notre univers.
Un autre point. Cette expansion ne peut pas être considérée comme un mouvement continu. Essentiellement discontinue et indéterminée dans son premier ou originel développement, elle devient continue puis discontinue, puis continue, ce qui d’ailleurs en le disant ainsi, doit montrer qu’il s’agit d’une simple image, parce qu’en réalité les deux mouvements d’expansion opèrent en même temps selon plusieurs mondes, un certain univers se créant parfois, ou plusieurs univers, d’autres au contraires se détruisant, s’affaissant sur eux-mêmes, en retournant à la Cause première de laquelle ils sont issus.
Précisons cependant qu’avec les Védas, il faut toujours envisager plusieurs points de vue à la fois, ce que le langage occidental ne permet pas souvent, du moins dans notre tradition philosophique, parce que dans cette perspective, le principe de contradiction, ou de non-réalité, ou de non-existence, est inscrit dans la matière abstraite et non abstraite de l’univers comme un élément fondamental de toutes les possibilités, ou si l’on veut, de toutes les manifestations.
Ainsi tout à l’heure, si nous parlions de la création comme d’un instant originel, il nous faut corriger aussitôt, et dire qu’en réalité, la création se continue sans cesse sans commencement ni fin au sein de toutes les créations. Notre univers qui est l’un de ces multiples univers qui peuplent la totalité de l’Univers, cet univers a certes un commencement et une fin. Mais c’est un univers particulier, fruit d’un précédent univers qui s’est peut-être scindé en plusieurs univers, ou qui s’est détruit et dont les éléments ont été réintégrés pour ainsi dire en vue d’une nouvelle expansion.
Par univers les Védas entendent d’ailleurs notre univers, celui dans lequel nous sommes et qui recoupe la totalité de ce qu’il contient, mais également les autres univers. Tous ceux qui d’abord se sont manifestés en vertu précisément de la loi de la manifestation, mais également les univers non manifestés en vertu des lois d’alternance dont nous avons parlé et qui pour ne pas être visibles à nos yeux ou à nos perceptions, n’en sont pas moins aussi réels que les autres, même si nous ne les voyons pas.
Les Védas sont clairs sur ce point. Chaque fois que nous parlons du moment T de la création d’un univers, (c’est moi bien-sûr qui utilise cette expression moderne), c’est d’un univers précis qu’il faut parler, parce que la série des univers constitués (visibles et non-visibles) n’a ni commencement ni fin.
Dans la conception hindouiste, ces alternances indéfinies sont appelés les jours et les nuits de Brahma. On les appelle aussi “inspir” et “expir” de la Divinité.
L’expir produit la manifestation, l’inspir engendre l’absorption. Le processus entier s’appelle un kalpa, Kalpa signifiant “imagination.” Un terme qui s’applique à l’évolution de l’univers. Un mot sur ce concept : au sens étymologique, l’imagination est une vision. C’est la faculté de se représenter ou de former des images. C’est la création de nouvelles formes. “Kalpa” c’est indirectement le pouvoir de l’esprit sur la matière inspirant chaque cycle ainsi que la totalité des cycles.
Une deuxième idée qu’on peut mettre en avant au sujet de cette manifestation universelle est le concept de Vivartha. On dit aussi quelquefois : “ loi de Vivartha.”
Que signifie cette loi ? Elle signifie que la cause demeure toujours identique à elle-même en produisant son effet. On voit donc que cette loi est différente de celle dite de “transformation”. La manifestation engendre originairement un univers, la loi de la transformation s’en empare et lui donne son infinie diversité, mais sans toucher à la loi de manifestation.
Qu’est-ce que tout ça veut dire ? Eh bien simplement que le processus cosmique, dans sa cause première, reste toujours lui-même parce que même s’étendant à l’ensemble des phénomènes, à la globalité des manifestations se produisant dans l’univers, ses lois sont toujours universelles, à quelque degré que ce soit. Cela veut dire aussi que lorsqu’on parle d’origine de l’univers, il faut bien distinguer le moment où il n’y a rien, et le moment où quelque chose naît, toujours selon les lois d’alternance. Quelque chose naît, se répand, recule, se poursuit, rien ne se faisant en une ultime seconde comme par exemple avec le Fiat Lux biblique. Il faut ajouter d’ailleurs qu’ici comme partout ailleurs, les lois universelles comme les lois d’alternance restant absolument les mêmes dans tout l’univers, les mêmes principes s’appliquant aussi bien à l’échelle des planètes qu’à l’échelle de l’homme, ou de l’invisible, donc aussi bien dans le microcosme que dans le macrocosme.
Vivartha (la loi de la manifestation universelle) signifie en sanscrit : « Mouvement tourbillonnaire. »
Cela signifie que l’univers, dans sa manifestation, est porté par des tourbillons, tourbillons s’attirant ou se repoussant alternativement pour parcourir un cycle.
Or ces tourbillons peuvent être observés à l’échelon le plus intense de l’univers, mais également au point le moins intense, le plus invisible à l’œil, là où l’atman, le point matériel ou immatériel qui peut être comparé à un atome, est lui aussi un mouvement tourbillonnaire. Parce que quelque fractionnement qu’on puisse obtenir d’un élément manifesté, le plus grand comme le plus petit, on pourra toujours le diviser en des ensembles de plus en plus petits, indéfiniment.
Maintenant, une loi des Védas concernant la manifestation universelle qui peut nous choquer, nous Occidentaux, c’est cette loi qui se rapporte à la cause première de la manifestation, et qui fait de ces “mouvements tourbillonnaires”, non seulement des éléments concrets extérieurs à l’individu, mais aussi, bien qu’à un ordre différent, de véritables pensées, des véritables éléments mentaux.
Comment les Védas l’expliquent-ils ?
Dans la philosophie védique, ce qu’on perçoit dans l’univers, c’est uniquement le mouvement. La force, nous ne la percevons pas. Certes nous savons qu’elle existe. Nous pouvons même la connaître et l’utiliser. D’ailleurs, si nous la connaissons, c’est parce qu’elle est en nous.
La force est ce qui met l’univers en mouvement. C’est ce qui donne à l’univers des lois que notre esprit peut découvrir et comprendre.
Or si cette force est intelligente en nous, il est évident qu’elle est aussi intelligente dans les parcelles les plus immenses ou les plus minuscules de l’univers. On peut faire d’ailleurs le raisonnement inverse. Mais quoi qu’il en soit, si les effets sont intelligents, la cause doit l’être nécessairement. D’où il découle que la cause première est intelligente.
Le matérialisme définit l’univers comme né d’un monde hasardeux, sans principe supérieur. Il affirme que c’est seulement l’homme et sa conscience qui peuvent lui donner un sens, mais que ce sens n’appartient pas au monde en tant que tel. La science en tant que telle est incapable de saisir la réalité de la totalité du monde.
Les védas ne voient pas du tout la réalité de cette façon. Les Védas dans ce sens sont un idéalisme.
Une cause première intelligente a rayonné dans l’univers. Et ce qu’elle a engendré, c’est un système d’effets intelligents, avec toutes les conséquences qu’on peut attendre d’une intelligence supérieure : conscience, désirs, sentiments, raisonnements, logique, etc, enfin tout ce qu’on peut considérer comme des manifestations de l’esprit.
La naissance d’un univers, c’est donc bien, pour les Védas, un projet de développement psychologique, intelligent et conscient. C’est donc bien, en même temps le projet d’une expansion signalant la présence de l’homme dans l’univers entier. D’ailleurs, on appelle parfois cette cause première : « purusha ».
Purusha c’est fondamentalement l’homme primordial, c’est l’homme cosmique, l’homme archétypal. Le substrat pourrait-on dire de toute existence.
L’atman dont on a parlé en tant que principe premier est d’ailleurs désigné souvent sous la forme de purusha. C’est le principe qui émet d’abord l’inorganisé, donc ce qui est antérieur à l’ordre cosmique, et qui sous la pression de la chaleur, de l’échauffement, du tapas comme il est dit, commence à émettre le monde organisé.
Maintenant, quand on parle d’origine du monde, de principe premier, que veut-on dire ? Le concept est si compliqué, si flou qu’il est difficile d’en parler, surtout dans la philosophie occidentale. Chacun y va de sa petite musique, le résultat est peu probant.
Pourquoi ? Parce qu’en Occident, ce concept incarne très vite un dualisme irréductible inconnu des Hindous, et qui par le fait qu’une chose est ceci ou cela, et uniquement ceci ou cela, implique automatiquement qu’elle ne peut pas être les deux à la fois.
La notion d’origine, dans les Védas développe une autre conception. D’abord, elle se confond avec le « rien » originel. Avant l’expansion du monde cosmique, avant ces premières manifestations de matière dont on a parlé, il n’y a rien.
Ce n’est pas le pur néant, parce que celui-ci n’existe pas. Le néant comme le vide sont des non-sens. Parce que de toute façon rien de ce qui existe ne peut être tiré de ce qui n’existe pas.
Ce que les Védas veulent signifier par “ il n’y avait rien”, c’est que rien encore n’était discernable car il n’y avait point de discernant au niveau de cet indiscernable. D’ailleurs, ce que cette intelligence primordiale va énoncer, c’est précisément cette expulsion de l’indiscernable pour qu’elle soit discernée. Pour qu’elle soit distinguée et organisée.
Reprenons. L’atman seul existait à l’origine sous forme de Purusha. Ainsi le vrai sens de commencement, d’origine, n’est ni spatial ni temporel, c’est un concept du “soi” inacessible à toute perception des sens communs de la pensée abstraite. Le vrai commencement, c’est ce qui se manifeste dans le non-manifesté pour le rendre manifestable, manifesté, tout en gardant ses particularités de non-manifesté.
Chez nous, en Occident, Maître Eckhart, Nicolas de Cues ont des vues très proches. A ce niveau de concept, on peut même faire un rapprochement très étroit entre leur conception du Principe premier, le principe universel, et la vision hindoue.
On peut faire aussi des rapprochements intéressants entre les conceptions de Pythagore et celles du Moyen-Âge des cathédrales.
Par exemple, si l’on considère le processus universel comme un développement psychologique conscient, si on le conçoit également comme une série de vibrations rythmiques, on peut concevoir tout aussi bien que les mouvements engendrés par le Principe créateur soient architecturaux, mathématiques, géométriques, musicaux ou autres. En vertu des lois de correspondance, l’univers n’est alors qu’une immense harmonie, oeuvre d’un divin compositeur. C’est la fameuse harmonie des sphères. En nous plaçant à un point de vue chromatique, on peut voir également cet univers comme une immense peinture universelle, la couleur n’étant que l’effet du mouvement sur l’être qui le perçoit par un organe particulier. On peut le voir encore comme une immense série d’équations mathématiques esthétiquement ordonnées.
L’univers reste le même. Ses manifestations sont infinies. Seul diffère le point de vue adopté. Un point de vue qui du reste peut être multiple, déterminé, indéterminé, probable, improbable, comme le sont les manifestations vibratoires de la nature.
Observé ainsi du point de vue de la lumière, dans l’interprétation des Védas, nous pourrons établir essentiellement un aspect géométrique de l’univers. D’un autre point de vue, nous le verrons arithmétique. Nous pourrons le voir aussi musical. Ou philosophique. Ou poétique.
Revenons toutefois un instant sur ce mouvement hélicoïdal bien particulier qui déclenche dans l’univers, aussi bien le manifesté que le non-manifesté.
Voyons donc déjà comment le Principe unique engendre la multiplicité de l’univers manifesté.
D’abord, qu’est-ce que ce principe unique qui se présente comme la source primordiale des évolutions successives ?
« Le principe unique, la cause première, celle qu’on nomme la réalité absolue, c’est ce qui engendre l’espace et le temps.
Temps en sanscrit, Kalaha, signifie “action de compter”
Espace, deshala, signifie ‘action d’indiquer.”
On le voit donc ici. Le temps est ce qui indique l’ordre de succession dans lequel nous prenons connaissance des objets, l’espace désigne la direction dans laquelle nous les percevons.
Le temps et l’espace n’existent pas en tant que réalités absolues. Ils ne sont que des modes de perception des faits.
Par « temps », nous entendons une espèce de flèche directionnelle allant du passé à l’avenir en passant par le présent.
Par espace, nous entendons ce qui est dans telle direction ou dans telle autre.
Ils n’existent pas en soi, parce que la perception de l’espace et du temps dépend du point de vue de l’observateur. Celui par exemple qui est au pôle voit le soleil d’une manière différente de celui qui est à l’équateur. L’un le voit ici, l’autre là. Quand le soleil se couche, la lumière du soleil est pour celui qui ne la voit plus… son passé. Alors que dans cette perspective, celui qui se trouverait sur le soleil le verrait toujours « ici » et « maintenant », donc toujours présent.
La conception des Védas formule ceci :
Le présent, l’avenir et le futur aussi bien que la position ou la direction d’un objet ne sont pas “des choses en soi”. Ce ne sont que des modalités de notre connaissance. En réalité, dans l’univers, il n’existe qu’un seul principe réel, lequel ne fait qu’apparaitre sous des aspects différents, aussi bien dans l’espace que dans le temps.
Cette conception formule également ceci :
Le point central de l’univers est le seul qui permette d’avoir un point de vue global de l’univers, non local. Tout autre observateur n’en verra que des éléments disparates et il ne les verra pas simultanément, mais successivement. Il n’apercevra en fait que des portions d’univers dans un espace-temps limité. Dans ce schéma de pensée, rien bien-sûr de ce qu’il observera ne sera faux. Mais ce sera seulement un point de vue. Un point de vue limité. Pourquoi ? Parce que toutes les lois de l’univers sont uniformes en leur principe, et que ce qui est vrai pour un atome l’est pour l’univers. Et que ce qui est vrai pour un univers l’est pour tous les autres.
Ce principe premier établit donc un schéma d’évolution pour un univers, mais les Védas précisent bien que cette naissance d’un univers n’est qu’un élément de succession de beaucoup d’autres univers… toujours en vertu de la loi des alternances dont nous avons parlé. Cette réalité est souvent rendue par cette image banale : « Celui qui ouvre une porte en ferme toujours une autre…Ou plusieurs. Et inversement. » Formule qu’on peut d’ailleurs traduire autrement : “Une porte qui s’ouvre en referme toujours une autre ou plusieurs autres.” Pourquoi ? Parce que si je regarde le monde, si je le vois, lui aussi me regarde, lui aussi me voit. J’agis vers lui et en lui. Il agit vers moi et en moi.
Voyons plus avant ce Principe premier qui possède en fait deux aspects.
Premier aspect : Brahman. C’est l’absolu au-delà du monde manifesté. Un non-manifesté en quelque sorte se présentant comme le germe endormi, pourrait-on dire, de toute l’évolution. La nuit du repos cosmique, invisible aux humains. Il est écrit en même temps que rien ne peut être dit de lui.
Brahma, deuxième aspect, qui produit l’univers.
Brahman est l’ineffable. Ce Brahma qui se trouve en lui, parce que le manifesté est toujours à l’intérieur du non-manifesté, ce Brahma, on peut le nommer Dieu. Ou le souffle. Ou l’esprit.
Avec toutes les différences et nuances qui conviennent… mais en tant que premier terme de la longue série d’événements qui produit la succession des phénomènes dans l’espace et le temps, il peut être assimilé au dieu de toutes les religions.
Il est la manifestation de la lumière. Et c’est par elle, cette lumière, en vertu de la loi des successions et des alternances, que se produit tout ce qui se trouve par exemple sur terre. Les plantes, les animaux, les rochers, les arbres, les mers, etc.
Qui le fera selon des lois et des principes. En vertu des principes de la nuit et du jour, du féminin et du masculin, du faible et du fort, enfin de tous les contraires.
Parce que dans la conception védique, c’est en effet une Idée, une intelligence qui est à la base de tous les univers. Une Intelligence dont chaque élément est à la fois le détail et l’ensemble.
Au sujet de ce Brahman, de ce principe premier aux deux faces, il faut bien préciser que dans les Védas, on le mentionne rarement. Comment en parler d’ailleurs ? Il n’a pas d’attribut, pas de qualité, il est au-delà de toute pensée manifestée. Il n’y a rien à en dire. C’est vraiment le non-manifesté. Il faut bien répéter pourtant. Le non-manifesté comme le manifesté ne sont pas opposés. On ne peut à aucun moment les envisager dans une dualité. Brahman et Brahma ne sont que deux aspects d’une seule et même réalité. Entre eux, on ne peut distinguer aucune différence d’essence. Selon la loi universelle des alternances, simplement, un jour, disons au terme d’une certaine période, une pensée du non-manifesté (une loi donc non physique) se présente à Brahma, et cette pensée dit :
“ Rien n’existe ! ”
Or lorsque le premier principe se trouve en rapport avec cette phrase : “Rien n’existe !” (Une notion imagée impliquant en quelque sorte le non-être), ce à quoi nous assistons, c’est à la naissance du binaire : “Ce qui est… devant ce qui n’est pas.” L’élément positif en face du négatif. Non pas, répétons-le, dans une opposition irréductible. Mais comme deux champs étroitement intriqués qui, au cours de leur développement, garderont leur propre champ d’action.
De toute façon, quoi qu’il en soit, c’est par une multiplication de ce binaire, que le monde commence. « Être-non-être. Masculin-féminin. Positif-négatif. Nuit-jour, mort-naissance, etc. »
Des images donc de la dualité, images visibles, représentables, mais véritablement indispensables à toute manifestation, quelle qu’elle soit.
Juste une remarque. Mais une remarque importante. Créer, dans la perspective de ce principe premier (manifesté, non-manifesté), c’est avant tout, se souvenir. La phrase, “rien n’existe”, implique que quelque chose a existé et qu’il faut le rétablir. D’ailleurs, la question de savoir comment l’UN produit la diversité, pourquoi l’unique engendre la multiplicité des formes, cette question présuppose que cet univers est une première création. Et donc qu’il y avait un temps où aucune création n’existait. Mais si nous concevons que la série des univers n’a ni commencement ni fin, nous comprenons que la variété de l’univers actuel résulte de la variété des univers passés.
Selon les calculs védiques, la durée totale de la vie d’un univers est de 100 jours universels et de 100 nuits universelles. Chaque jour universel comme chaque nuit a une durée terrestre de 4 milliards 320 millions d’années.
Après chaque jour universel a lieu une destruction partielle qui donne lieu à une re-création partielle dans un cycle infini.
Un petit rappel. Le temps, selon la conception des Védas est une énergie existante avant la manifestation cosmique. Cette énergie primordiale n’est pas visible ni opérante, parce qu’elle est encore non-manifestée. A ce sujet, il faut comprendre que la matière universelle comprend deux états : un état manifesté. Un état non-manifesté.
Ce non-manifesté comme ce manifesté se retrouvent dans tous les univers. Chacun a son champ d’action.
Quelques précisions dans ce labyrinthe.
Là, ce qu’il faut comprendre, c’est que le non-manifesté est ce qui pousse le manifestable à se manifester. Le manifesté, c’est la matière positive. Le non-manifesté, c’est l’obscur. C’est le noir qui contient toutes les possibilités. Symboliquement, il est négatif. D’une manière imagée bien que schématique et incomplète, on pourrait voir ces phénomènes comme un négatif de photo engendrant la photographie visible en plein jour. Ou comme un espace négatif qui comprend non seulement le sujet, mais le fond et l’arrière-fond de la photo.
Lorsque le non-manifesté donne pouvoir d’expansion au manifestable, celui-ci s’exalte dans tous les sens, comprenant une part presque aussi grande de manifesté, donc de matière, et de non-manifesté, donc d’anti-matière si on veut trouver un référent moderne. Cette matière qui se structure peu à peu en éléments visibles, tangibles, cette matière qui fonde l’univers visible, devient naturellement de plus en plus positive, tandis que le non-manifesté, donc le négatif qu’elle contient toujours a tendance à de plus en plus disparaître, puisque le manifesté, le cycle de l’expansion prend de plus en plus d’importance.
Toutefois, ce qui prend de plus en plus de consistance par la puissance et la force de ce qui constitue les possibilités d’un cycle, et qui comme telles sont infinies, c’est la matière qui forme des terres, des étoiles, des planètes, des galaxies, etc. C’est une énergie positive, mais qui en tant que telle, comme je l’ai déjà souligné, ne possède en elle aucune force. Ce qui la tient, c’est la puissance du non-manifesté, de cette force invisible qui constitue une grande partie de ce qu’ou pourrait appeler l’éther et qui est en réalité l’espace entre les étoiles et les galaxies. C’est une force invisible qui a tendance à se dissiper lors même que les éléments qui constituent le manifesté prennent de plus en plus d’importance, mais également à se propager, à s’étendre dans les espaces les plus lointains des univers multiples, dont bien entendu le nôtre.
Il est d’ailleurs évident, dans cet énoncé schématique, que si une étoile ou une galaxie disparaît, c’est cette force du non-manifesté, ce sont ces éléments invisibles appelés atma et paramatma, qui deviennent prépondérants. Alors cette étoile et cette galaxie retournent dans l’élément primordial qui est le leur, soit pour le départ d’un nouveau cycle, soit pour la réparation ou la destruction d’autres étoiles ou de galaxies… soumises qu’elles sont et ne cessent d’être aux deux forces dont nous avons parlé : celle de la matière positive visible ; celle de la matière négative invisible.
Comment se présente un univers à son origine ?
L’origine d’un univers peut être comparée, dans le minuscule point qui le contient entièrement, à une bouillie très dense, comprenant tout la manifestation à venir, ainsi que chaque élément, chaque espèce d’un ensemble d’univers qui existait déjà et qui se sont désintégrés ou qui se sont affaissés sur eux-mêmes. Il contient donc dès le commencement, le manifesté et manifestable, aussi bien que le non manifesté.
Ce schéma d’évolution est applicable à tout l’univers. Précisons une nouvelle fois que l’ensemble se développe toujours, en vertu des lois de l’évolution, d’une structure complexe à une forme de plus en plus simple. Non l’inverse.
A la base de ce qu’on nomme la matière, existe une particule négative l’atma qu’on pourrait dire aujourd’hui d’anti-matière, laquelle possède, comme noyau, une particule encore plus subtile nommée paramatma. Ce sont ces particules négatives qui pénètrent aussi bien les atomes matériels que l’espace qui les lie, et qui en les pénétrant leur donnent existence.
Il faut insister là-dessus. Ce sont bien ces particules d’anti-matière qui régissent les mutations constantes de la matière. En effet, les particules de matière qu’on pourrait appeler positives, n’ont en elles-mêmes aucun pouvoir créateur.
La programmation de l’ordre cosmique, c’est dans ces particules d’anti-matière qu’elles se trouvent pour en imprégner ensuite la matière positive. Car ce qu’il faut comprendre, c’est que toutes les manifestations observées ou non, que ce soit le développement des planètes, ou celui de la conscience humaine, sont déjà inscrites dans cette anti-matière originelle qui reste un élément important de la matière visible en expansion.
Dans la conception védique, la tendance de la matière créée, comme d’ailleurs, de toute manifestation des phénomènes, surtout si on les fait partir du plus complexe au plus simple comme c’est le cas, c’est de se multiplier, c’est de se développer dans un désordre croissant.
Or si dans l’univers on n’observe pas ce désordre, si les lois universelles restent valables et stables, c’est bien qu’une intelligence a été infusée, dès l’origine, à l’ensemble des éléments créés.
Selon la physique védique, l’espace à l’intérieur de notre univers est multi-dimensionnel. Il existe 64 dimensions principales, mais chaque dimension peut se diviser ou se multiplier en de nombreuses sous -dimensions qui à leur tour, tel d’ailleurs le noyau primitif, peuvent encore se diviser ou se multiplier en d’infinies dimensions.
Toujours, dans cette perspective, une seule particule peut d’ailleurs donner un univers, et toujours dans cette perspective, si je suis au point décisif qui convient, je peux me promener d’univers en univers, rien ne m’empêche même de déplacer une galaxie, ou de la multiplier.
Trois dimensions sont seulement perceptibles aux terrestres. C’est pourquoi la presque totalité de la réalité universelle leur échappe. Mais rien n’empêche effectivement certaines dimensions de l’esprit d’entrer dans ces espaces et de les habiter. Et de le faire en plusieurs endroits en même temps ou en plusieurs univers. Sans compter, toujours en vertu des lois de simultanéité, de succession, etc, que des conceptions différentes puissent organiser une vie différente d’une vie déjà formée.
L’information à laquelle je puis avoir accès dans certaines conditions bien précises, peut ainsi me mettre en face de Jules César (je prends à dessein un exemple occidental). Mais du fait de cette “imagination” primitive dont j’ai parlé (une imagination qui loin d’être un mouvement irréel de l’esprit est quelque chose au contraire de très réel) je peux très bien aussi, par de simples impulsions vibratoires faire de ce Jules César un conquérant de l’Inde, donc lui délivrer une autre vie. Ou si l’envie m’en prend, créer un autre monde, un autre univers. Parce que dans la physique védique, toutes les probabilités sont possibles. Et non seulement sont possibles, mais peuvent obtenir une réalisation effective à partir du moment où je me trouve où il faut que je sois pour la réaliser.
Einstein a écrit : “Les physiciens croient que la séparation entre le passé, le présent et l’avenir n’existe pas”.
Dans la philosophie védique, le temps existe bel et bien, mais à la fois il n’existe pas. Du fait que je suis dans un éternel présent, (en effet je suis ici et maintenant… d’ailleurs, je suis toujours ici et maintenant), tout est conjugable au présent. Tout est ici et maintenant. Que je sois à l’origine de tout acte, de toute manifestation, ou que je change d’univers, que j’en parcoure plusieurs en même temps comme j’en ai la possibilité dans certains cas précis définis par la métaphysique védique, je suis toujours “ici et maintenant.”
C’est pourquoi les passés eux-mêmes sont présents. Les futurs également. Ainsi, même quand il me prend l’idée de contempler des dinosaures, ou d’être en contact avec les puissantes civilisations infiniment plus évoluées que la nôtre, je suis toujours au présent comme ils le sont aussi.
Et pourquoi c‘est possible ? Parce que dans la conception védique, ce qu’il faut prendre en considération, c’est la multiplicité des points de vue toujours locaux et non locaux, toujours déterminés et indéterminés à la fois.
Donc “mon” temps, ce temps-là matériel qui est mon manifesté, existe bien. En ce sens que les particules, les atomes qui articulent mon corps ont été programmés dès l’origine pour naître et pour mourir, selon les lois cycliques de l’expansion et de la dissolution. C’est d’ailleurs le cycle qui régit également la destinée des planètes et des étoiles. Mais en même temps, on peut dire que le temps est une construction de la réalité. Qu’il est une émanation de la conscience universelle. En tant qu’humain, je suis donc dans le manifesté et à la fois dans le non manifesté. Je suis dans une boucle, ou une série de boucles de la temporalité dont le sens final et la réalité de l’ensemble ne peuvent que m’échapper.
Bon… Maintenant pourquoi puis-je dire que la totalité des éléments manifestés a été programmée dès l’origine par une force intelligente ? Pourquoi puis-je dire aussi, de ce fait, en tant qu’entité consciente non enclose dans un univers qui est comme son enveloppe, son habit, mais comme constituant de lui-même, continu et en même temps discontinu, pourquoi puis-je dire que je peux me trouver à n’importe quel point du monde jusqu’à me retrouver à l’origine de cet univers ou des autres univers?
D’abord, qu’est-ce que l’origine ?
L’origine d’un être, d’une chose, il faut la voir comme son point de départ. L’origine est une naissance. C’est la première manifestation d’un phénomène. C’est l’apparition, le commencement de quelque chose.
Quand je dis je suis né en telle année, c’est mon commencement. Mais on voit tout de suite que ce n’est pas mon origine. Quelle est l’origine de ma naissance ? C’est la mère qui m’a mis au monde, et c’est sa mère, et ainsi de suite. L’origine, c’est le début de tout. C’est le tout premier début qui n’a rien avant lui. Si je veux connaître l’origine humaine, je dois remonter la chaîne des causes jusqu’à trouver le premier humain. Mais le premier humain est né lui aussi de quelque chose. De quoi ? En me posant la question, je vais encore interroger jusqu’au moment où je ne trouverai plus rien à demander. Aurai-je pour autant l’origine ?
Dans la philosophie védique, on peut aussi remonter jusqu’à l’origine. Mais l’origine de quoi ?
Si je dis que ce monde a été créé, il faut que je demande aussitôt par qui ? Comment ? C’est sûr, en posant la question ainsi, qu’il existe nécessairement une cause. Donc si j’interroge cette création, j’interroge tout naturellement cette cause. Bien-sûr, on peut toujours m’indiquer une raison. Par exemple, elle est le fait d’un Dieu. On peut me dire aussi : “Elle est née d’une explosion.”
Il me faut alors demander : “Quelle est la cause de cette explosion ? “ “Quelle est la nature de ce Dieu ? ”
Je peux demander encore : “ Qui a créé ce Dieu ? “
Comme on le voit rapidement, la chaîne des causalités est infinie et à la fois elle bute sur un fait primordial : “ Qu’y avait-il avant ?”
Dans le christianisme, le dieu créateur est la représentation infinie de lui-même. On dit généralement “qu’il est, qu’il a toujours été et qu’il sera toujours”. Le questionnement s’arrête net. La cause première est un effet immuable. Cause et effet sont identiques.
Dans la conception védique, le principe premier qu’on peut appeler aussi l’essence du monde, l’âme du monde, “le soi”, ne crée pas un monde ex nihilo. Il crée un monde à partir de vieux mondes existants écroulés.
Nous demandons alors : “D’où viennent ces débris de mondes ?”
On nous répond : “de mondes qui existaient.”
D’où viennent ces mondes qui existaient ? Et ainsi de suite.
Avons-nous une réponse définitive ? Voyons un peu.
La philosophie védique nous explique : Le principe premier de l’univers, le principe absolu qu’on appelle “brahman”, c’est la substance irréelle du tout. Ce principe a un double aspect : un aspect manifesté et en même temps un aspect non-manifesté.
Quand ce double aspect du même principe pénètre le deuxième principe qu’on appelle “Brahma”, son aspect manifesté et non-manifesté met en mouvement une nouvelle ère, une ère de lumière sortant de la nuit. C’est cette lumière sortant de la nuit qui sous la forme d’un brouillard très dense va donner la totalité des manifestations.
En tant que principe aux deux aspects distincts (manifesté, non manifesté), donc un principe antérieur à l’ère de lumière, ce monde de la première présence n’est pas soumis à la causalité.
La chaîne de causalité, c’est la naissance du monde qui la met en route. Quand j’interroge alors ce dieu créateur, ce deuxième principe issu du premier principe, “tu viens d’où ? ”, je ne suis pas dans la causalité. Je suis dans un autre domaine, celui de l’indéterminé. Du probable.
Que veut dire indéterminé ? Cela ne veut pas dire flou.
Indéterminé veut dire : “dont la décision et la date de la détermination ne sont pas encore connues.”
Indéterminé veut dire aussi : “Il y a peut-être une probabilité que la chose soit ou non déterminée”.
Dans le système védique, rappelons-nous que nous avons aussi, pour ce qui touche au premier principe, la notion de non-manifesté.
Non-manifesté ne veut pas dire que cela n’existe pas. Que nous sommes dans le vide. Dans le néant. Non. Cela veut dire simplement que le non-manifesté n’est pas manifesté. Que tel quel, il sort de notre cadre de pensée, de choix, de jugements.
En même temps, du fait que comparable à un souffle, à une pensée intelligente qui pénètre le deuxième principe et provoque le commencement du monde… cela signifie que c’est moi, en tant qu’esprit, que ce principe met en route. Ma naissance, mon origine, c’est ce principe. L’immanence et la transcendance en sont ses deux aspects. Mais son origine, c’est aussi moi-même. C’est mon passé et mon futur. Les deux naissances coïncident. Précisons en même temps qu’aucune des deux ne dépend réellement de l’autre. Je suis le manifesté du non-manifesté. Ou le non-manifesté qui se manifeste. Un élan qui ne fait perdre aucun aspect des deux principes, les points de vue restant de toute façon multiples comme chaque fois que nous ne sommes pas au centre du manifesté-non manifesté. Car à ce moment-là nous avons dépassé les contingences et les raisonnements extérieurs. Nous ne pouvons interroger le monde en tant qu’éléments extérieurs ou distants de ce monde.
Car là, nous sommes le monde. Nous sommes la totalité des éléments qui constituent ce monde. Mais il faut remarquer que nous ne le sommes pas tant qu’en éléments distincts, comme pourraient l’être par exemple des éléments placés dans une boîte l’un à côté de l’autre. Nous sommes un seul ensemble. Nous sommes l’unité du monde totalement réalisée.
Quand la vision védique évoque l’illumination qu’elle appelle parfois Nirvana ou Moksha, quand elle parle du savoir, de la connaissance confondus à l’objet de connaissance, c’est à ce processus qu’elle fait allusion.
« Connaître ce qui est, disait d’ailleurs Aristote, c’est le connaître de telle façon qu’on est soi-même , réellement et effectivement , tout ce que l’on connaît. »
Il est écrit dans les Védas : “ Le nirvâna est au-delà des termes de dualité et de relativité. Il est donc au-delà de nos conceptions d’existence et de non-existence.”
Il est dit aussi :
« Le Djani, le sage, ne réalise ni ne découvre rien de nouveau. Simplement il voit la réalité dans toute sa splendeur. Il perce jusqu’à l’essence des choses, et y découvre Brahman. »
Questions, réponses, raisonnements terrestres, conscience personnelle ou sentimentale, figures géométriques, mathématiques, physiques, philoso- phiques, se dissolvent en elle.
La plénitude lumineuse de toutes les possibilités de l’être et de l’univers est atteinte.
Le microcosme et le macrocosme ne font qu’un.
L’homme synthétise alors en lui l’univers qui se synthétise en même temps dans l’homme. Je suis lui. Il est moi.
Métaphysiquement, ça veut dire quoi ?
Ça veut dire que dans la théorie védique des cycles qui développe, freine ou annihile l’extension de tous les états de possibilités, soit virtuellement ou non, il faut envisager la succession temporelle et spatiale de façon tout à fait symbolique. Car ici les questions d’avant ou d’après n’ont plus de sens réel. Ce dont on peut parler, ce sont des conséquences purement logiques, ou plutôt ontologiques de tous les existants, puisqu’elles concernent les développements de l’Etre sous toutes les formes.
Mais métaphysiquement non. Car tous ces cycles sont essentiellement simultanés.
La spatio-temporalité n’est applicable qu’à certains états particuliers, par exemple l’état humain, ou à certaines modalités de ces états. Dans le cadre de la totalisation de l’univers, toute idée de succession temporelle ne peut se rapporter qu’à un point de vue singulier.
Or quand l’homme, comme dit précédemment, se place… ou se trouve placé… au point primordial de toutes les densités, donc au centre du non-manifesté qui est le principe même du manifesté, origine et achèvement signifient la même chose, c’est à dire tout et rien. En même temps, on peut dire que ce non-point de vue, (il est non-point de vue puisqu’il est la totalité réalisée de tous les points de vue existants), ce non point de vue qui est toutefois un point de vue bien réel, n’est ni au-delà de l’espace-temps ni en deçà. Impossible d’ailleurs qu’il le soit. Car il englobe toutes les données localisables et non localisables, la totalisation étant forcément l’ensemble de tous les possibles et de tous les imaginaires, au sens de non-encore réalisables ou manifestés.
C’est d’ailleurs eu égard à ce point de vue qu’on peut également affirmer, au sein des interactions qui créent de nouvelles réalités, que les entités physiques de la manifestation ne sont d’abord pas physiques. Les lois qui leur permettront de se répandre préexistent aux objets physiques. C’est bien-sûr une façon de parler. Car manifesté et non-manifesté sont le même terme d’un même flux continu et discontinu. D’où on voit aussi, pourquoi finalement, au point de vue où se place l’esprit ou l’Être illuminé par la connaissance, le silence est ce qui l’accomplit le plus intensément.
Alors maintenant, en conclusion, sur quelles passerelles pouvons-nous revenir pour exprimer quelques notables concordances entre cette spiritualité védique et la physique quantique ?
Retenons d’abord le fait capital que pour les théoriciens de la physique quantique comme pour ceux de la philosophie védique, rien dans la nature ne possède une existence propre, rien ne peut se prévaloir d’une identité indépendante ou autonome. Aucune séparation n’existe entre le sujet et l’objet. En fait, tout est lié, tout est connecté, les êtres comme les particules. D’où il ressort immédiatement qu’aucune cause n’est réellement limitée dans l’espace, ou si l’on préfère, qu’aucune cause n’a un champ d’action réduit. L’effet d’une cause peut opérer instantanément à quelques mètres comme à plusieurs milliards d’années-lumière.
Un autre point touchant les deux sciences, c’est le désir évident d’unité. Le monde est et n’est pas, et cela en même temps. Tout est et demeure intriqué. Ainsi le hasard est une donnée aussi fiable que le déterminisme le plus absolu, étant une fragmentation insolite de superpositions unifiant les divisions aussi bien que divisant l’unité en relations irréelles et réelles, probables et déterminées.
Trois courtes citations résumeront le débat :
« Si vous croyez comprendre la mécanique quantique, c’est que vous ne la comprenez pas » (Richard Feynman).
« Si l’on parvient à s’élever à l’état de conscience cosmique, celle-ci est connaissance intuitive du passé et du futur, ainsi que de l’ailleurs. » (Costa de Beauregard)
« Je suis à l’est et à l’ouest, je suis au-dessus et au-dessous, je suis le monde entier. » (Texte védique)
Etablissant à nouveau la croyance que l’univers, dans sa totalité, est une unité matérielle et spirituelle, réelle et irréelle, éternellement dynamique.