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Torah et connaissance

    La question que je me propose de traiter dans cet article est celle de la pensée théologique hébraïque à la lumière des lois écrites et orales édictées par la Torah et le Talmud. Comment en particulier cette pensée, dès l’origine, a institutionnalisé la place de l’homme au sein d’un monde créé par Dieu et comment, en retour, elle a défini la place de Dieu en face de cet homme.

    Avant d’aborder le sujet, voyons toutefois en quelques traits rapides, ce qui fait la spécificité des conceptions du monde qui sont de la même époque que ces spéculations philosophico-théologiques hébraïques, et en particulier celles du monde grec.

    Déjà, pour ce qui ressort de Pythagore, Parménide, Empédocle ou même de Platon et d’Aristote, et pour les opposer d’emblée à ce qui caractérise l’objet de mon article, on peut souligner le fait que leur monde, leur cosmos obéit à un ordre harmonieux. C’est une structure parfaitement intelligible et c’est le nombre qui la constitue. Le nombre ou le feu. Ou l’eau. Autrement dit, qu’il s’agisse d’une structure de l’esprit, ou d’une structure d’éléments finis ou infinis, de relations entre le Un et le multiple, c’est l’harmonie qui les caractérise, et c’est seulement par cette harmonie qu’on peut en saisir la réalité. L’être et le monde ne sont qu’un. Aucun dieu n’a bâti le monde, mieux tout est dieu comme le dira par exemple Xénophane, la feuille d’arbre, comme le rocher, l’animal ou le lac. En ce sens, la nature s’exprime toujours par un système de relations interdépendantes, selon les règles d’une harmonie divine à laquelle l’homme se doit d’accéder.

    Pour ce qui ressort de Platon, notons un point important. Être sur terre et se croire dans la réalité, lorsqu’on n’est pas détaché d’une perception immédiate des choses, c’est tout simplement être dans l’illusion, c’est ne pas comprendre ce qu’est précisément la réalité. Pourquoi ? Parce que se trouver sur cette terre, adossé à l’immédiateté des reflets du monde, c’est se trouver à l’intérieur d’un univers fermé et opaque, c’est percevoir uniquement les rayons d’une source de lumière invisible définissant l’ensemble des éléments qui nous entourent, c’est n’avoir en réalité de cet ensemble, qu’une perception illusoire. Reconnaissons ce point : le monde de la caverne qui définit la place de l’homme sur la terre est un monde bien réel. Il ne s’agit pas d’un rêve. C’est une réalité observable. Toutefois c’est une réalité qui nous laisse dans l’illusion de la vraie réalité, car pour accéder à la vraie signification du monde, il faut se hausser au monde des intelligibles, l’univers ordonné et harmonieux des Grecs restant toujours l’objet d’une contemplation spirituelle, d’une vérité indivisible nous sauvant d’une dispersion frauduleuse des interprétations.

    Le monde chrétien n’enfantera pas un modèle différent. Rien n’est à modifier, l’univers est parfait, à l’homme de se hausser vers les vérités éternellement intangibles qui en constituent sa base et son sommet.

    Fidèles à cette conception, il est d’ailleurs demandé aux sciences, aux technologies, à la philosophie de ne poursuivre qu’un seul but : comprendre et mettre en valeur la beauté de la création divine. Dieu est généreux, glorieux, omniscient, le rôle de l’homme est de le magnifier — l’homme, image parfaite de dieu, miroir du divin au même titre que la nature entière, ayant comme mission de se glorifier à travers lui.

    Précisons toutefois que si l’art roman et gothique, ainsi que plus tard la Renaissance affirmeront résolument une relation harmonieuse entre la macrocosme et le microcosme, le baroque au contraire essaiera d’offrir une nouvelle vision de l’univers, développant entre l’être et le monde, à travers ses lignes brisées et ses plans inclinés et abrupts, des relations plus ambigües, un enchevêtrement métaphorique des formes, un conflit dissimulé des contraires, une mise en abyme plus probante de l’équivoque et de l’improbable.

    Comment la pensée védique dont certains textes sont contemporains de la pensée hébraïque, envisage-t-elle la réalité de ce monde ?

    Rien n’est désordonné dans une telle pensée. Rien n’est non plus réellement ordonné en un tout harmonieux.

    Le flou, l’ambigu, sont des catégories qui ne donnent jamais une impression de désordre et d’anarchie. Mieux. Cette pensée orientale affirme savoir, par une intuition supérieure, que ce qu’elle nomme les forces élémentaires, les éléments du minuscule, celles du microcosme ne sont pas différentes, en fait, de celles du macrocosme, en vertu des lois de correspondance qui les animent, dès lors que le point de vue de celui qui les observe se trouve à un niveau supérieur de compréhension.

    Un point est à noter. C’est que cette pensée extrême-orientale se définit toujours comme une métaphysique, donc comme une connaissance immédiate de la réalité. Comme une connaissance au-delà de l’expérience qui du point de vue de la formulation védique ne peut manifester qu’un des aspects de la réalité.

    Au travers de cette métaphysique, le changement d’ailleurs n’a aucun sens. Il n’y a ni évolution, ni progrès. Le réel est immédiatement connaissable ou pas. Il communique à l’être une certitude absolue qui empêche par là-même toute controverse, tout caractère hypothétique d’une proposition.

    Toutes les formes, tous les aspects, toutes les apparentes imperfections ou erreurs trouvent en réalité leur justification dans une totalité supra-rationnelle c’est à dire dans une vérité supérieure bien au-delà de la raison, et même pour ainsi dire loin de sa portée. « Il n’y a de science que du général » dit Aristote. La pensée hindoue pense au contraire « Il n’y a de science que de l’universel ». Le hasard, les phénomènes distincts, l’objectivité, la subjectivité, la simple spéculation ou le raisonnement incursif, ce qui nous paraît logique ou illogique, font partie d’un même ensemble qui est l’univers. Qui est donc l’universel. Dans la philosophie classique, il est impossible que deux solutions contradictoires puissent cohabiter. L’union des contraires n’est pas possible. Rien n’est exclu parce que tout est vrai selon le point de vue qu’on adopte. Précisons toutefois que cette vérité supérieure déterminant tous les axes de la pensée doit être conçue, non comme une connaissance connaissant : (par exemple : « voilà ce qu’est la nature »), mais comme une réalisation effective de l’être. Moyen essentiel de connaissance, elle est en fait la connaissance elle-même ; une connaissance où le sujet et l’objet, le je et le il, sont indistinctement unifiés.

    Une des conséquences immédiates, c’est que pour cette métaphysique orientale, connaître et être ne sont qu’une seule et même chose. Ce sont deux aspects inséparables d’une réalité unique. Réalité unique ne voulant pas dire toutefois « point de vue unique opposable à d’autres, mais connaissance de tous les points de vue, de tous les multiples états de l’être et du monde, même ceux du non-manifesté, et dont seule une contemplation supérieure, une « théoria » au sens étymologique peut en saisir la totalité, tout en nous réalisant.

    Précisant ces points, il faut souligner aussi l’ambiguïté qu’un autre aspect de ces védas pourrait soulever : celui du monde des illusions. En effet, en se penchant sur les Védas, on a parfois le sentiment que les sens sont des illusions. Que la réalité elle-même est une illusion.

    Certes, l’illusion existe. Mais ce qu’apporte cette illusion, c’est aussi une réalité, c’est un point de vue faisant partie de la réalité et qu’il convient donc, à ce titre, de considérer avec une grande attention, si nous voulons atteindre le réel.

    C’est pourquoi contrairement à la pensée occidentale, la multiplicité des interprétations, leur diversité même contradictoire ne prêchent pas pour la non-signification de l’ensemble, mais au contraire pour sa validité.

    Qu’en est-il maintenant de la pensée hébraïque ?

Un premier point.

    Loin de se présenter comme un recueil de certitudes définitives éternellement transmissibles, disons déjà que le judaïsme est avant tout une religion de la lecture et de la relecture des textes, une espèce de rumination en vue de s’approcher le plus possible de la compréhension d’un mot ou d’une pensée. Une science du souffle en quelque sorte ouverte sur un dialogue jamais achevé avec Dieu et les hommes aussi bien qu’avec l’univers.

    L’ouvrage qui exprime ces certitudes, la Torah, c’est l’ensemble des cinq livres que Moïse a reçus de Dieu au Sinaï lors d’une illumination : la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome. Mais ce sont aussi tous les commentaires et ouvrages des grands maîtres de la Torah, ensemble inépuisable qui constitue le Talmud, tout à la fois une science, un art et « la manifestation d’une force cosmique qui maintient le monde.» (Marc Alain Ouaknin)

    Les cinq livres de la Torah sont exactement ceux que la Bible chrétienne a repris à son compte. Attachons-nous pourtant aux différences de sens et d’interprétation entre les deux croyances. Pour les Chrétiens, Dieu représente l’absolu. Il a créé un monde parfait, un homme parfait, et si l’homme aujourd’hui a perdu ses prérogatives originelles, c’est qu’il a péché en goûtant à l’arbre de la connaissance du bien et du mal malgré l’interdiction formelle que Dieu lui avait signifiée. Évidemment pour cet homme rejeté, il existe un recours. C’est la notion de salut exprimant la possibilité de réintégrer le paradis perdu. Mais c’est un salut toutefois dont seul Dieu, cet Être infini et parfait dont parle Spinoza, reste le seul décideur.

    Il est intéressant de noter, pour ce qui ressort de notre article, qu’aucun philosophe ou scientifique ne remettra en cause cette infinie harmonie du monde, du moins jusqu’à une époque assez récente. Ainsi Newton dira que « le monde est élégant, ordonné, harmonieux », et que « l’étude mécanique des phénomènes n’a finalement comme but que de retrouver la vision initiale de Dieu ». Tandis qu’Einstein écrira : « Je crois au Dieu de Spinoza qui se révèle dans l’harmonie de tout ce qui existe. »

    Or à travers le Talmud (à travers surtout une certaine méditation hébraïque libérée de tout dogmatisme) la pensée juive exprime tout à fait autre chose. N’incarnant pas la perfection, n’étant pas lui-même le créateur d’un monde parfait, il est sûr que Dieu n’a pas créé un être parfait. Loin de là. Déjà, pour le créer, il a dû opérer un retrait, un tsimtsoun comme il est dit, une mise entre parenthèses, ce qui signifie tout simplement que la relation entre l’homme et son créateur a été dès l’origine très distendue, très relâchée, chacun restant libre de s’en affranchir ou pas. Cela signifie aussi que l’homme dans ce monde, mais au même titre que Dieu, garde une totale liberté de ses pensées et de ses actions. En même temps, du fait même de ces prémisses, la nature immédiatement visible, l’univers ne s’offrent pas comme un recueil de lois intangibles, éternellement établies, mais comme un ensemble de structures en formation et mouvements continus qui appartiennent autant à Dieu qu’à l’homme et qu’il convient d’ailleurs aux deux de faire évoluer, de transformer ou de perfectionner selon leur bon vouloir. Remarquons aussi, de ce fait, qu’un tel cadre ne justifie en rien que l’homme soit un adorateur de ce Dieu, un esclave bêlant soumis à ses caprices ou à ses volontés. Mieux. Bénéficiant d’une réelle liberté de pensée et de mouvement, l’homme a toute latitude pour essayer de percer les mystères du monde, pour les dominer, pour s’en emparer et les développer ou les réorienter selon ses propres conceptions et profits. Au sein des doutes, des angoisses et des mystères qui l’assaillent, c’est même une recherche logique, nécessaire, en tout cas acceptable. Il ne s’agit même pas d’une révolte ou d’un rejet de la divinité. Pour l’homme, critiquer, expérimenter, vérifier, accepter, refuser, reconstruire relèvent même de la nécessité que lui impose sa condition. C’est réellement un devoir.

    C’est bien-sûr un premier aspect. La façon la plus claire de dire que l’homme de la Torah peut se passer de Dieu. Que si une relation existe entre cet homme et ce dieu, le dialogue peut toujours être suspendu sans qu’il soit besoin à l’un ou à l’autre de fournir des preuves irréfutables, et sans forcément recevoir en retour des flots de malédictions ou de menaces cruelles et implacables.

    Mais il existe aussi un deuxième aspect. Essayons d’être clair. Ce n’est pas simple.

    La pensée scientifique est essentiellement, comme on le sait, une pensée qui régit le comment des choses. Ce que cherche le savant, c’est à vérifier la justesse de ses hypothèses. C’est à les fonder dans le cadre d’une objectivité clairement observable et reproduisible à volonté.

    Or si cette science, si ces explications logiques qui peuvent expliquer le fonctionnement de certains phénomènes demeurent capitales dans la pensée juive, il faut noter qu’elles restent complètement extérieures à l’homme et à sa destinée. Certes elles assurent son confort. Elles lui donnent une certaine aisance sur le plan matériel, elles influencent fortement son comportement quotidien ; mais elles n’expliquent rien quant à son être, quant à ses problèmes de mortel traversés par exemple de crises et d’angoisses existentielles. Elles ne résolvent en rien ses interrogations métaphysiques.

    Alors qu’est-ce qui peut entrer en ligne de compte pour venir au secours de cette errance philosophique ? Eh bien, pour la pensée juive, et d’une manière essentielle, c’est la Torah… la loi juive. C’est à dire la révélation d’une Vérité qu’aucune intelligence humaine, aucune conscience ou raison ne sauraient donner à l’homme. Une force extra-ordinaire qui non seulement se penche sur la vie terrestre de l’homme, mais également sur la vie au-delà du monde de la matière. Pourquoi ? Eh bien parce que la Torah, du point de vue hébraïque, n’est pas qu’un alignement d’écritures bibliques. C’est une somme de connaissances, c’est un système philosophique, et avec des mots recelant des sens si profonds qu’il faut en réalité des années et des années d’études pour en découvrir le sens. Les multiples sens devrions-nous plutôt dire car il est reconnu qu’aucun commentaire, aucune interprétation ne sauraient en tarir la source.

    « Tourne-là et retourne là, dit d’ailleurs un sage hébraïque à son sujet, car tout est en elle. Scrute-là, vieillis et use-toi en elle. Et d’elle ne te détourne pas, car pour toi il n’y a rien de mieux qu’elle ! »

    Un caractère universellement vrai affiché à la face du monde de manière radicale, et qui en quelque sorte s’oppose à toutes les connaissances fragmentaires traversant les manifestations de la vie humaine. Une offrande de Dieu régissant le microcosme comme le macrocosme, et parcourant tout l’univers.

    Alors maintenant pourquoi, à notre point de vue, est-ce intéressant de définir ces deux formes essentielles de la pensée hébraïque ?

    Eh bien, parce que d’un côté, au sein même de cette création, si l’homme reste toujours libre de bâtir un monde qui lui appartient, de définir une proximité et un horizon dans lesquels il veut évoluer, d’un autre côté, il a de façon permanente, à sa disposition, un outil infiniment complexe mais authentique et infaillible dont il est certifié à ceux qui souhaitent s’en servir, qu’il peut les mener à la compréhension et à la possession de l’essence même de l’univers.

    « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, est-il écrit dans la genèse chrétienne. Or la terre était vague et vide et l’esprit de Dieu planait sur les eaux. »

    Dans la Genèse juive donnée à Moïse sur le mont Sinaï, le mot « berechit » qui ouvre le Livre, ne traduit pas avec autant de netteté la notion de commencementBerechit, c’est Rechit (la Torah) avec laquelle Dieu crée le monde.

    « Avec la Torah, Dieu a créé le monde », est-il d’ailleurs écrit.

    Signifiant par là-même que la Torah est antérieure au commencement du monde. Qu’elle est un plan de pensée préexistant à l’univers. Comprenons même ceci : si Dieu se sert de la Torah pour créer le monde, les commandements de la Torah qu’on appelle les mitsvot sont ceux-là même qui permettent au monde d’accéder à sa réalisation.

    Des commandements donc qui ne sont pas uniquement l’expression de la volonté de Dieu, mais pour ainsi dire des données objectives utilisées par lui pour réaliser l’univers. Données objectives qui par là-même, si l’homme sait les utiliser correctement, lui permettent d’atteindre le (ou les) but (s) recherché (s).

    Précisons d’ailleurs que pour la Torah, et de manière apparemment contradictoire avec ce que nous affirmons, tout est déterminé, tout a une raison d’être. Le hasard n’existe pas. « Dieu ne joue pas aux dés ». Dieu ? Non. La Torah. Ce par quoi Dieu a créé le monde et lui a donné un ou plusieurs sens.

    Il faut le souligner. Dans une telle perspective, ce n’est pas Dieu qui donne ou peut donner à l’homme une vision globale du monde, une compréhension assignée à chaque chose… mais la Torah.

    La Torah et pas Dieu crée une relation particulière entre la nature et l’homme, de même qu’entre cet homme et les autres créatures.

    La responsabilité de l’homme est engagée à chaque instant, le sort de l’univers est entre ses mains. En fait, c’est son action, et son action seule qui par la compréhension de la Torah et par sa mise en œuvre apporte au monde, soit le bonheur, soit le malheur et la détresse. La création continue ou la destruction.

    Cela veut dire d’ailleurs en même temps, par voie de conséquence, que l’homme n’est pas un jouet obscur et fragile entre des forces cosmiques aveugles. S’il est dans le monde par la force de la Torah, s’il peut jouer sur les forces qu’elle a mises en action, c’est qu’il a une mission à accomplir. « La vérité germera de la terre ». « La vérité germera de l’homme. »

    On le voit de façon significative. Le mot Torah recouvre beaucoup de sens. C’est bien-sûr le projet qui sert à Dieu à mettre le monde en route, et donc en un certain sens le plan de Dieu. Mais c’est aussi le projet de l’homme pour continuer à échafauder l’univers. A le corriger et à lui apporter toutes les significations qu’il convient.  A lui donner un sens précis, universel ou personnel, accomplissant en quelque sorte une transcendance et une immanence au plus près de chaque être.

    C’est pourquoi en même temps il est bien spécifié que si Dieu a créé l’homme libre au sein d’un univers réellement in-fini, non achevé, c’est pour que l’homme poursuive cette création, autant par sa conscience et sa raison que par ses travaux et ses entreprises inlassablement menés. Un mouvement d’incertitude originelle que rien ne peut intégrer dans un mouvement pré-établi, dans une improvisation divine faite histoire humaine, mais plutôt dans une histoire où l’homme est libre d’adhérer à la création divine ou de la repousser. Une vision dont la structure pourrait être définie comme musicale avec comme thème dominant un « peut-être » tout à fait relatif parce que c’est aux hommes de décider finalement à quoi ils veulent adhérer ou à ce qu’ils désirent réellement.

    Alors bien entendu ces notions impliquent que pour la pensée hébraïque, la création continue de s’accomplir. Qu’elle ne se termine pas en un point initial idéalement structuré. Que tout se trouve en chemin. Que nous avons bien à faire à une création en expansion. A une dimension informelle où dans un monde imparfait, il est donné à l’homme de jouer un rôle actif avec la mission, s’il l’accepte, de parachever l’œuvre divine. De la perfectionner. De devenir à son tour un créateur.

    L’autonomie assurée de l’homme, dans un tel schéma, c’est sa capacité à dialoguer ou non avec Dieu. C’est son droit d’exprimer au créateur toutes critiques en ne se plaçant jamais dans une attitude de soumission.

    De fait, si du côté divin on peut parler de grandeur, c’est pour avoir accordé à l’homme un véritable libre-arbitre. Et si on peut parler de grandeur humaine, c’est pour le libre choix accordé à l’homme de vivre cette autonomie, de l’accepter ou de la refuser, acteur incisif que l’homme est et reste, sa vie durant, de son propre cheminement. De sa certitude en même temps qu’aucune conception ne saurait être considérée comme une vérité éternelle.

    A ce niveau de réflexion, la possibilité efficiente d’un athéisme inscrit dans son cœur n’est d’ailleurs pas à négliger.